Denis Diderot
1713-1784
Denis Diderot, après avoir été l'élève des Jésuites au Collège de sa ville natale, poursuit à Paris des études de philosophie, de théologie, et de droit (1732). Gagnant sa vie comme il peut, clerc d'un procureur langrois, ou précepteur chez un receveur des finances, il étudie l'anglais, les sciences, et tâche de satisfaire son insatiable curiosité dans tous les domaines de la connaissance.
Ami de Jean-Jacques Rousseau, qu'il a rencontré en 1742, il se marie en 1743 contre le gré de son père, et « vivote » en faisant des traductions de l'anglais. Il publie en 1745 une traduction libre de l' Essai sur le mérite et la vertu de Shaftesbury, à laquelle succède sa première œuvre philosophique personnelle, les Pensées philosophiques (1746). Dans cet ouvrage, donnant la réplique à Pascal, il attaque à la fois l'athéisme et le scepticisme, sans ménager les bases traditionnelles de la religion.
Dès lors, Diderot est considéré comme l’un des écrivains les plus subversif de son temps. Dans la Lettre sur les Aveugles à l'usage de ceux qui voient (1749), il en vient même à démontrer la faiblesse de certaines preuves de l'existence de Dieu. Ce livre est prétexte à son arrestation. Diderot est emprisonné à Vincennes durant trois mois (automne 1749). En 1747, en compagnie du mathématicien et philosophe Jean le Rond D’Alembert, il se charge de la direction de l'Encyclopédie ; cette vaste entreprise l'occupera, sans relâche, jusqu'en 1772.
Diderot ne peut pas vivre sans écrire, et, parmi les nombreux ouvrages qu'il rédige, romanesques ou philosophiques, certains, publiés, restent anonymes (Les Bijoux indiscrets), tandis que d'autres ne verront le jour que très longtemps après sa mort (La Religieuse, en 1796 ; La Promenade du sceptique et Le Neveu de Rameau, entre autres, au XIXe siècle). De même, les principales œuvres éclairant l'évolution philosophique de Diderot : l'Entretien entre d'Alembert et Diderot, le Rêve de d'Alembert, où Diderot envisage l'avenir des sciences de la nature, ou le Supplément au Voyage de Bougainville (publié en 1796) qui établit les principes d'une morale de la nature.
La pensée philosophique de Diderot est mouvante et intuitive. Elle est faite de touches successives au moyen desquelles il tente de nuancer la conception complexe qu'il a du matérialisme (Réfutation de l'Homme d'Helvétius, rédigé en 1773-1774 ; Entretien d'un Philosophe avec le maréchal de ***, rédigé en 1776). Son style est vif et naturel. Privilégiant l’écriture en forme de dialogue, il fait sa popularité dans le genre narratif. Jacques le fataliste et son maître, Le Neveu de Rameau, constituent des chefs-d'œuvre de la langue française.
De santé fragile, Denis Diderot ralentit ses publications à partir de 1776. Il meurt le 31 juillet 1784 à Paris.
Le déisme et la religion naturelle
La position de Diderot à l'égard de la religion évolue dans le temps, en particulier dans sa jeunesse. Ses parents le vouaient à une carrière ecclésiastique. Arrivé à Paris, son parcours académique se fait dans des institutions d'obédience catholique, comme la Sorbonne. C'est au gré de ses lectures que sa foi va s'étioler et qu'il semble évoluer vers le théisme, le déisme, et enfin souscrire aux idées matérialistes. C'est cette évolution que l'on constate dans ses Pensées philosophiques à la Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient. Plus tard, ces positions sont confirmées dans le Supplément au voyage de Bougainville où il évoque la religion naturelle. Diderot rejette là autant les excès de la religion que la religion elle-même en tant que système fondé sur la croyance en un être supérieur. Toute sa vie, il fut en conflit avec son frère sur ces questions Dans ses Pensées Philosophiques (1746), Diderot plaide pour une religion naturelle. Se montrant trop libéral par rapport à la religion et aux "mystères", il est condamné par l'Eglise.
La religion naturelle de Diderot entend faire de la raison (ou lumière naturelle) le fondement de toute connaissance mais surtout la base d'un déisme et d'une morale universelle, capables de se débarrasser de dogmes irrationnels et autoritaires et de mettre fin au relativisme historique et culturel des différentes religions révélées. Ainsi, Diderot propose une morale universelle assise, non pas sur Dieu, mais sur les sentiments naturels de l'homme et sur la raison.
La connaissance est liée à l'expérience
La Lettre sur les aveugles et à l'usage de ceux qui voient (1749) provoque l’incarcération de son auteur au château de Vincennes pendant trois mois. Pour Denis Diderot, le seul critère auquel répond la connaissance est l'expérience. Il défend l'idée qu'il n'y a qu'une seule substance, la matière, et que le processus de passage du minéral à la vie est continu. Cette théorie peut être considérée comme une intuition du transformisme de Lamarck (théorie selon laquelle l'évolution implique une variation (ou transformation) des espèces au cours de l'histoire géologique. Cette théorie, le lamarckisme, sera supplantée à la fin du XIXe siècle par le darwinisme.)
Le matérialisme de Diderot
À strictement parler, une philosophie matérialiste considère qu’on explique mieux les phénomènes (les actions, sentiments, productions humaines, mais aussi la vie sous toutes ses formes) en ne faisant appel qu’à la matière. Le matérialiste renonce à introduire des considérations extérieures aux composés matériels, comme des desseins divins, pour les comprendre. En ce sens, Diderot est matérialiste. Mais encore faut-il préciser quelle forme de matérialisme il défend. Si la matière est un agrégat de petites parties inertes, passives, qui subissent des chocs d’autres agrégats mis en mouvement par on ne sait trop quoi, Diderot voit mal comment elle pourrait expliquer tout ce qu’il se propose d’explorer.
La grande hypothèse du matérialisme de Diderot est celle de la matière sensible. De la pierre à l’homme pensant, tout est constitué par des molécules de matière qui peuvent sentir. Reste à comprendre si la sensibilité appartient déjà aux plus petites parties de la matière, ou si elle n’apparaît que dans certaines compositions de ces petites parties : « la sensibilité, propriété générale de la matière ou produit de l’organisation » ? L’alternative est indécidable : l’hypothèse selon laquelle la sensibilité appartient à la matière peut être soutenue par l’observation mais elle n’est jamais démontrée. De même, Diderot ne voit pas comment prouver que l’assemblage de parties qui ne seraient pas déjà sensibles pourrait produire un tout sensible. On ne sait pas encore ce qu’est la matière, écrit Diderot à la fin de la Lettre sur les aveugles.
Principales œuvres :
Pensées philosophiques (1746)
Promenade du sceptique (1747)
Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient (1749)
Pensées sur l'interprétation de la nature (1753)
La Religieuse (1760)
Le Neveu de Rameau (1762)
Le rêve de D'Alembert (1769)
Jacques le fataliste (1771)
Essai sur la vie (1778)