Marcel Gauchet
1946
Né en 1946 à Poilley (Manche), Marcel Gauchet est né dans une famille modeste de la Manche en 1946 : son père est cantonnier et sa mère couturière. Quant à son frère aîné, il est séminariste.
Son enfance est marquée par le poids de la nation et de la République. « Dans un monde rural encore marqué grandement d’une tradition agricole et religieuse typique de l’ouest de la France, la chance que j’ai eue, c’était de bénéficier d’une école qui marche. Je suis un typique produit de la méritocratie républicaine à une époque où elle fonctionnait à peu près ». En parallèle, il reçoit une éducation catholique et devient enfant de chœur.
En 1961, âgé de quinze ans, il entre à l’École normale d’instituteurs de Saint-Lô, puis reçoit une formation de professeur des collèges. Alors que la guerre d'Algérie se termine, il découvre l'engagement syndical, mais aussi le goût de la philosophie et des sciences humaines. En 1962, il fait la rencontre de Didier Anger, militant actif de l'École émancipée. Le milieu très politisé de l’École normale d’instituteurs est polarisé entre les communistes et ce petit groupe antistalinien où Marcel Gauchet comptait l’essentiel de ses amis. « Dès mes quinze ans, j'avais eu Socialisme ou barbarie entre les mains, par l'intermédiaire de militants de l'École émancipée qui m'avaient initié aux controverses sur la nature de l'URSS et le parti ouvrier ». Il fait sa première manifestation militante lors de l'affaire de la station de métro Charonne.
Après deux ans d’activité en qualité de professeur des collèges, il prend une disponibilité pour entreprendre des études universitaires.
Carrière universitaire
En 1966, Marcel Gauchet fait la connaissance de Claude Lefort, son professeur à l’université de Caen de 1966 à 1971. Sous sa direction, il rédige un mémoire de DESS sur Freud et Lacan. « Avec Lefort, j’ai eu la piqûre de rappel sur le plan politique ». À Caen, il n’est pas tout seul. Jean-Pierre Le Goff et Alain Caillé sont ses condisciples. Sur le campus, les offres politiques sont radicales. Le Goff choisit l'anarchisme situationniste. Marcel Gauchet milite avec lui. Claude Lefort a beaucoup compté pour Marcel Gauchet, non seulement parce qu’il lui a permis « de le prévenir de quelques fatales erreurs auxquelles je n’avais aucun motif particulier d’échapper », mais aussi plus largement sur le plan intellectuel, puisqu’il a déterminé son orientation et son intérêt pour la philosophie sous son aspect politique : « C’est à lui que je dois cette impulsion ». Le primat du politique pousse alors Marcel Gauchet dans une véritable boulimie de savoir. Il se lance dans la préparation de trois licences en même temps : en philosophie, en histoire et en sociologie. Il cherche alors à radicaliser sa rupture avec la vulgate marxiste et considérait que Claude Lefort restait trop attaché à Karl Marx, qui représentait encore l’essentiel de son enseignement. Gauchet en revanche cherche une alternative à opposer au marxisme, du côté de l’histoire, en pensant une « théorie de l’histoire alternative ».
Mai 1968 comble de joie Marcel Gauchet, qui a immédiatement vu dans le mouvement l’expression même de ce qu’il pensait depuis un moment : « Je l’ai vécu dans le bonheur et l’enthousiasme, naturellement. ». Il participe pleinement au mouvement dans sa composante dominante, spontanéiste, et assure la navette régulière entre Caen et Paris. Mais l’après mai 68 est pour lui plus douloureux. C'est la « gueule de bois théorique ». Le constat est sans appel : « Sur le terrain politique, les lendemains de Mai ont été carrément accablants. Le léninisme qu'on avait cru foudroyé est revenu en force. Le PC s'est mis à faire un tabac chez les intellectuels. Les groupuscules trotskistes et maoïstes ont recruté à tour de bras et conquis le haut du pavé. » « S'il y a bien une chose que je n'aurais jamais pu être, c'est mao. J'avais horreur de leur style et de leur propagande. Cela dit, j'ai fait partie des quelques imbéciles qui, par faiblesse démocratique, ont servi de boîte aux lettres lorsque la répression s'est abattue sur la Gauche prolétarienne. » Dès lors, Marcel Gauchet sort définitivement de la sphère marxiste. Cette volonté d'indépendance tient Marcel Gauchet à l'écart des réseaux universitaires. Il vit alors d'expédients et de petits boulots, en particulier d'enquêtes de sociologie de terrain. « J'étais ainsi devenu une sorte de spécialiste de l'implantation des parkings parisiens ! ».
En 1970, Marcel Gauchet fait la connaissance de Marc Richir qui s'occupe d'une petite revue d'étudiants de l'Université de Bruxelles, Textures. Ils décident ensemble de la relancer sur de nouvelles bases, avec Claude Lefort, Cornelius Castoriadis et Pierre Clastres au comité de rédaction. Elle paraît jusqu’en 1975. Marcel Gauchet publie son premier article en 1971 dans un numéro de la revue L’Arc consacré à Merleau-Ponty (« Lieu de la pensée », L’Arc, no 46, p. 19-30). La même année, il publie dans Textures un article intitulé « Sur la démocratie : le politique et l’institution du social ». Ce texte a été rédigé d’après un cours donné par Claude Lefort à l’université de Caen en 1966-1967. Il rend en effet compte des thèses de Lefort sur le politique. Puis il rencontre Gladys Swain, qui partage sa vie et lui fait découvrir la clinique psychiatrique et le mouvement antipsychiatrique. Enfin, il y eut les lectures décisives de la Société contre l’État, recherches d’anthropologie politique de Pierre Clastres (paru en octobre 1974 aux Éditions de Minuit) et l’Histoire de la folie à l’âge classique, de Michel Foucault.
En mars 1977, il participe avec Claude Lefort, Cornelius Castoriadis, Miguel Abensour, Pierre Clastres et Maurice Lucciani au lancement du premier numéro d'une nouvelle revue, Libre, sous-titrée « politique-anthropologie-philosophie ». Huit numéros sont publiés jusqu'en 1980, grâce aux éditions Payot (Petite bibliothèque). C'est encore Claude Lefort qui lui présente l'historien François Furet qui anime un séminaire à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et auquel il participe avec Pierre Manent, Pierre Rosanvallon, etc. Furet le fera entrer à l'EHESS et le présente à son beau-frère Pierre Nora. En avril 1980, il publie son premier livre avec Gladys Swain, la Pratique de l’esprit humain chez Gallimard. En mai 1980, Nora demande à Marcel Gauchet de devenir le rédacteur en chef de sa nouvelle revue Le Débat. Pierre Nora, qui a joué un rôle primordial dans la promotion éditoriale du structuralisme, considère que la page est tournée. Dans son éditorial intitulé « Que peuvent les intellectuels ? », il semble attaquer tous les auteurs de ses propres collections, la « Bibliothèque des sciences humaines » et la « Bibliothèque des histoires », aux éditions Gallimard, et au premier chef, Michel Foucault représentant de l’intellectuel spécifique et plus gros succès de la « Bibliothèque des sciences humaines ». Le choix par Pierre Nora de Marcel Gauchet pour diriger la rédaction de la revue ne pouvait qu’être interprété comme une prise de distance avec Michel Foucault, vu les positions très critiques de Marcel Gauchet vis-à-vis de l’œuvre foucaldienne développées dans La pratique de l’esprit humain.
En juillet 1980, Marcel Gauchet publie Les droits de l’homme ne sont pas une politique (Le Débat, no 3, juillet-août). L'année 1989 est une autre étape importante de sa vie. Marcel Gauchet entre au Centre de recherches politiques Raymond Aron qui est le département d’études politiques de l’EHESS, avec l’appui de Pierre Nora et de l’historien François Furet. Il retrouve dans ce centre des universitaires libéraux comme Pierre Manent, Jacques Julliard, Pierre Rosanvallon, Philippe Raynaud ou Monique Canto-Sperber, tous pouvant se réclamer de l’héritage de Raymond Aron.
Il a étudié le processus de sécularisation à l'œuvre en Occident dans le Désenchantement du monde (Gallimard, 1985). Il y explique que le christianisme est « la religion de la sortie de la religion », c'est-à-dire une religion qui contient potentiellement en elle la dynamique de sécularisation. Cette sécularisation (ou « désenchantement du monde ») ne signifie pas la fin des croyances privées personnelles, mais que désormais la religion ne structure plus la société, elle n'en est plus le principe d'organisation ou de légitimité. « Autour des années 1970, nous avons été soustraits sans nous en rendre compte à la force d’attraction qui continuait à nous tenir dans l’orbite du divin », écrit Marcel Gauchet dans la Religion dans la démocratie (Gallimard, 2000).
Marcel Gauchet est également le père de l'expression « fracture sociale », reprise en 1994 par Emmanuel Todd et qui devient le thème central de la campagne présidentielle (1995) de Jacques Chirac. Il est membre du conseil d'orientation du laboratoire d'idées En temps réel.
Sa pensée
La pensée de Marcel Gauchet, au travers de sa généalogie de la « modernité » se propose de redéfinir et de mettre à distance « le moderne » tout autant que ses relectures heideggériennes et post-modernistes, celle d'un Foucault par exemple. Elle est ainsi philosophie en ce qu'elle fait accéder au contemporain – il définit ainsi la philosophie dans La Condition historique – En donnant ainsi à redéfinir ce que l'on nomme le « moderne », sa pensée se fait simultanément philosophie politique. Le désenchantement du monde – et ses déploiements dans La Révolution des pouvoirs, La Révolution des droits de l'homme, La religion dans la démocratie –, dans une perspective tocquevillienne, faisait la généalogie de la percée démocratique dans son versant négatif, celui de la sortie de la religion. Il pointe les paradoxes de notre société et les replace dans une perspective historique. La suite, L'Avènement de la démocratie, en fait la généalogie sur le versant positif ; celui du devenir-humain au travers du gouvernement des hommes par eux-mêmes dans le temps et l'espace, au travers de la production (praxis) maîtrisée, par le droit et le politique, de leur propre devenir, autrement dit au travers du gouvernement de l'histoire. Condition politique et condition historique prennent ainsi progressivement la relève de la forme primordiale religieuse de l'être-ensemble.
Le projet de Gauchet au travers de L'Avènement de la démocratie peut ainsi se définir comme une théorie et une re-conceptualisation de la démocratie, du point de vue d'une anthropologie historique, qu'il donne à comprendre comme « régime mixte ». C'est la forme de l'être-ensemble autonome, « sorti de la religion », s'organisant par la maîtrise du droit, du politique, et de l'« histoire », entendue comme « devenir-générateur ». Il croise ainsi l'échec toujours possible de ce devenir-humain, de la maîtrise conjointe de ces trois dimensions fondamentales de l'humain-social hors religion. Les tragédies du XXe siècle y sont analysées comme réponse à la première « crise de croissance » des jeunes démocraties libérales. Le libéralisme – compris comme « renversement libéral », irruption de l'historicité et de la « société » – sans démocratie – sans maîtrise politique de cette historicité – ouvrira en effet sur le retour du politique portant encore l'empreinte du religieux.
Cette théorie de la démocratie en tant qu'elle fait émerger les points nodaux liant le déploiement de l'être-collectif comme du sujet peut se comprendre à un second niveau, comme il le dit dans La condition politique, comme une anthropo-sociologie transcendantale, c'est-à-dire qu'elle est dévoilement des conditions de possibilité de l'avènement du sujet – tel qu'explicité dans La pratique de l'esprit humain, L'inconscient cérébral, Le vrai Charcot, ainsi qu'au travers de sa pensée sur l'éducation –, du sujet pris en même temps que distinct dans l'être-collectif ; c'est-à-dire, notion centrale de la pensée de Marcel Gauchet, du politique. Le politique est ce qui donne à une collectivité humaine le pouvoir de se gouverner. Il est refoulé en régime d'hétéronomie et se manifeste comme tel en régime d'autonomie, s'affirmant en passant – au travers de l'avènement de l'État, puis de l'État-nation moderne, de l'individu et de l'histoire – du statut d'englobant symbolique à celui d'infrastructure réelle, s'affirmant ainsi « moderne » dans la métamorphose que lui fait subir le renversement libéral.
Marcel Gauchet s'est également intéressé à la question de la crise de l'École et de l'éducation, qu'il analyse dans des termes proches de ceux de Hannah Arendt (Conditions de l'éducation, « l'école à l'école d'elle-même »). Selon lui, l'École est au service de la production d'un citoyen et individu rationnel, tourné vers l'avenir. Cependant, l'approfondissement de l'individualisme contemporain conduit à perdre de vue que cette production suppose certaines conditions. La pédagogie, ou le pédagogisme, est de nature idéologique, il redouble la négation de cette nécessité. À partir de là, Gauchet s'intéresse à des thèmes comme l'autorité, ou encore la transmission des savoirs. Apprendre, ce n'est pas qu'assimiler un savoir à sa psychologie propre, c'est accommoder son fonctionnement mental à des méthodes nouvelles. Gauchet se veut optimiste : la démocratie donnera naissance à un consensus politique autour de l'école et de ses exigences, car l'école est la condition sine qua non de la formation de l'individu dont ont besoin nos sociétés.
Marcel Gauchet et la laïcité
Les catholiques et la démocratie : de l’opposition à l’intégration
Pour Marcel Gauchet, Vatican Il marque le début de l’intégration des catholiques dans la démocratie. Ceci modifie profondément les données de l’identité catholique et, au-delà, la teneur même des enjeux de la foi. En retour, cette intégration change profondément la démocratie. Elle change en particulier la version très spéciale de la démocratie libérale que fut la république laïque à la française. En son fond, la démocratie est une rupture avec le mode de structuration religieux qui fut celui de l’ensemble des sociétés humaines avant la société moderne.
Humanité et ordre social : de la soumission à la maîtrise
Marcel Gauchet voit en la démocratie le pouvoir des hommes ; ce pouvoir qui se substitue à l’ordre défini par les dieux ou supposé voulu par Dieu. La religion, autrement dit, ne consiste pas d’abord en des croyances, comme nous tendons à le penser, il s’agit d’abord d’une organisation du monde humain, d’une structuration sociale, d’une constitution de l’ordre qui tient les hommes ensemble, comme ordre extérieur, antérieur et supérieur à leur volonté. Ce type d’organisation se traduit notamment dans la forme du pouvoir auquel les hommes obéissent un pouvoir qui tombe d’en haut, qui s’impose à eux d’une manière inquestionnable et qui ne requiert que la soumission. Historiquement parlant, sur la très longue durée des sociétés humaines, les religions n’ont été que l’organisation de l’hétéronomie. En regard, l’essence du phénomène démocratique des sociétés modernes, son caractère exceptionnel dans l’histoire qui en fait le commencement d’une autre histoire, c’est la rupture avec cet ordre hétéronome, c’est l’engagement vers l’institution d’une politique de l’autonomie. Les hommes définissent eux-mêmes, entre eux en tant qu’individus, l’organisation de leur monde commun. On constate alors que les religions n’ont survécu à cette mutation radicale qu’en changeant radicalement de statut, en devenant de fait le contraire de ce qu’elles étaient initialement. Hier, elles structuraient les communautés, elles sont devenues des religions de l’individu, des convictions de la personne.
Révolution et Séparation : l’affirmation du rôle moral de l’État
Pour Marcel Gauchet, la Révolution française va mener jusqu’au bout le programme de subordination de l’absolutisme. L’entreprise passe en particulier par la « constitution civile du clergé » qui incorpore l’Église dans la Nation. De là une aporie de la révolution : au nom de la liberté, on opprime la liberté et en particulier la liberté religieuse. C’est ce dilemme que va devoir résoudre le XIXème siècle et c’est autour de lui que tourne le conflit de l’Église et de l’État. Et de nouveau, en France, l’État va être au cœur de la solution. Comment dès lors, du point de vue des autorités publiques, concilier la liberté collective dont elles se réclament et l’hostilité philosophique de principe d’une partie importante de la nation à ces principes de liberté ? C’est la question que doit résoudre la République. Elle est résolue par une solution radicale : la séparation de l’Église et de l’État en 1905. Par un côté, cette solution retrouve l’esprit de l’absolutisme : l’élévation de l’État au rang de principe spirituel, au nom de l’autonomie dont il est la clef de voûte. Mais par l’autre côté, cet esprit absolutiste se combine cette fois avec l’esprit libéral qui se diffuse partout dans le monde à cette époque. Le moment de la démocratie libérale dans laquelle nous vivons date de cette période :1880 -1914.
La séparation de l’Église et de l’État représente, d’un point de vue libéral, la consécration de la séparation de la société civile et de l’État. La liberté religieuse est conçue comme une liberté civile, dans la sphère privée où les croyants sont libres de cultiver les croyances qu’ils veulent. Il leur est seulement demandé, dans le cadre d’une conception exigeante de la citoyenneté, de se détacher de leurs convictions particulières pour rejoindre leurs pareils dans une sphère publique complètement détachée de la religion puisqu’il y va de la pure délibération de la cité des hommes sur son destin. L’autonomie démocratique, autrement dit, est conquise moyennant une subordination hiérarchique marquée du privé au public et une affirmation puissante du rôle moral de l’État au-dessus des convictions et des attaches particulières des individus. Une fonction morale représentée notamment dans son rôle enseignant : c’est en ce sens que la laïcité se trouve au cœur du modèle républicain à la française.
Faute d’adversaire, le spirituel républicain en crise
Marcel Gauchet pense que le conflit des deux France est derrière nous. IL fait le constat sociologique que les croyants sont entrés dans l’espace métaphysique de la démocratie. Le plus fervent d’entre eux ne croit plus qu’il y a une politique de Dieu ou un ordre divin. Il revient aux hommes d’édifier la cité qui les unit avec leurs seuls moyens. L’idée même de mêler Dieu à ces affaires triviales et séculières en est devenue presque impie. Il soutient donc dire que la démocratie a métaphysiquement gagné, c’est-à-dire qu’une séparation se trouve reconnue entre ce qui est de l’ordre de l’au-delà et de ce qui est de l’ordre du gouvernement en commun ici-bas. Mais, de l’autre côté, cette victoire, cette absorption de la religion dans la démocratie, change l’idée laïque, l’identité républicaine et encore plus profondément l’idée que la démocratie peut avoir d’elle-même. Elle s’était construite, nulle part plus visiblement qu’en France, en fonction d’un adversaire qui n’existe plus. Cette opposition ait conduit à ériger la chose publique, la délibération collective, l’ordre civique, en une valeur suprême et quasi spirituelle ; la politique en son plus noble sens y faisait figure de fin en soi, mais ce « spirituel républicain » se trouve emporté à son tour.
Les conséquences en sont très sensibles, en France en particulier. Elles atteignent l’État dans ce qui justifiait sa prééminence au plus profond ; elles atteignent, au-delà de l’État, la religion de la politique, la foi civique et l’autorité de la chose collective. Cette mutation s’accomplit dans un contexte de changement économique, social et technique qui met l’État sur la défensive, mais il n’y a là en partie qu’un rideau de fumée. C’est dans son rôle spirituel que l’État se trouve vraiment atteint. Il n’est plus le garant de cette autonomie qui avait à se conquérir contre l’hétéronomie. Il n’est plus ce lieu transcendant où la liberté des hommes s’affirme contre l’assujettissement, avec ce qui en résultait comme foi sacrificielle et foi dans ses capacités tant de formation que de direction des esprits.
La chose publique n’est plus au-dessus des choses privées : c’est cette «déhiérarchisation »qui est probablement la plus grande transformation. Elle représente un changement radical des rapports entre la société civile et l’État, en même temps qu’un changement de mode de composition de la société civile.
Bibliographie
Les ouvrages de Marcel Gauchet sont traduits en plus d'une vingtaine de langues.
• La Pratique de l’esprit humain : l'institution asilaire et la révolution démocratique, en collaboration avec Gladys Swain, Gallimard, Paris, 1980.
• Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985.
• La Révolution des droits de l'homme, Gallimard, Paris, 1989.
• Situations de la démocratie (en collaboration avec Pierre Manent et Pierre Rosanvallon), Seuil, coll. « Hautes Etudes », Paris, 1993.
• La Révolution des pouvoirs : la souveraineté, le peuple et la représentation 1789-1799, Gallimard, Paris, 1995.
• La Religion dans la démocratie : parcours de la laïcité, Gallimard, Paris, 1998 - Prix Ève-Delacroix29.
• La Démocratie contre elle-même, Gallimard, Paris, 2002.
• Le Religieux après la religion (avec Luc Ferry), Grasset, Paris, 2004.
• Un monde désenchanté ? Éditions de l'Atelier, 2004.
• L'Avènement de la démocratie, t. 1, La Révolution moderne, t. 2 La crise du libéralisme, Gallimard, Paris, 2007.
• L'Avènement de la démocratie, t. 3, A l'épreuve des totalitarismes, 1914-1974, Gallimard, Paris, 2010.
• Le religieux et le politique, Douze réponses de Marcel Gauchet. Paris, Desclée de Brouwer, collection Religion & Politique, 2010.
Son Blog